[MUSIQUE] Lors des deux séances précédentes nous avons vu pourquoi Louis de Broglie avait, sur un critère logique introduit l'hypothèse de la nature ondulatoire de la matière. Nous avons ensuite décrit une expérience d'interférences confirmant cette hypothèse. Nous allons maintenant mettre sur pied le formalisme permettant de décrire de manière quantitative l'état d'une particule en physique quantique. Il s'agit de poser les bases de cette nouvelle mécanique qui va venir se substituer à celle de Newton. Plus précisément nous allons énoncer dans cette leçon et dans celles qui vont suivre trois principes ou trois postulats si vous préférez, qui contiendront les éléments essentiels pour étudier ensuite les systèmes physiques régis par la mécanique quantique. Il y a bien sur deux contraintes, aussi importantes l'une que l'autre qui vont nous guider dans l'écriture de ces principes. D'une part ils doivent être compatibles entre eux pour que la théorie que nous construisons ne soit pas auto contradictoire, d'autre part ils doivent être fondés sur des faits expérimentaux et ne doivent pas conduire à des prédictions mises en défaut par l'expérience. En revanche il n'est pas question pour nous de démontrer ces principes au sens mathématique du terme, pas plus qu'on ne démontre le principe fondamental de la dynamique pour la mécanique newtonienne. Nous voulons fournir un cadre cohérent, le plus simple possible pour expliquer les phénomènes physiques mais nous ne pouvons en aucun cas prouver que ce cadre est le seul possible. Il en va de même pour toute modélisation théorique du monde physique. Le premier principe de la mécanique quantique constitue en quelque sorte l'acte de naissance de l'onde de matière et de son interprétation physique. Il s'énonce de la manière suivante : la description complète de l'état d'une particule de masse m dans l'espace à l'instant t se fait au moyen d'une fonction d'onde complexe Psi de r et de t. Cette fonction est par hypothèse une fonction continue de la variable d'espace r vecteur qui représente le triplet de coordonnées x,y,z. Le lien entre cette objet mathématique et les observations physiques se fait de la manière suivante : le module carré de la fonction d'onde représente la densité de probabilité pour trouver la particule au point r, à l'instant t. En d'autres termes, la quantité d3 P = module de Psi de r et de t au carré d3 r représente la probabilité de trouver la particule à l'instant t dans un volume d3 r entourant le point r. Cette interprétation probabiliste vient immédiatement imposer une contrainte sur la fonction d'onde. Comme la particule est avec certitude dans l'espace entier l'intégrale du module carré de Psi sur cet espace doit être égal à 1. Nous dirons que la fonction d'onde doit être normée. Cette terminologie mathématique se justifiera quand nous aurons introduit la notion de produit scalaire et de norme dans l'espace de ces fonctions d'ondes. Il importe de bien comprendre le caractère probabiliste de ce principe. Les expériences d'interférences que nous avons vues à la leçon précédente sont très utiles pour cela. Plaçons-nous à une dimension pour simplifier et considérons une fonction d'onde Psi de x et de t dont le module carré, représenté sur cette figure en haut à gauche, oscille dans l'espace. Comment pouvons-nous mesurer expérimentalement ce module carré présentant de belles franges d'interférence? Il va falloir utiliser un grand nombre de particules comme nous l'avons vu dans le film sur les interférences d'électrons. Nous préparons chaque particule dans le même état Psi et nous mesurons sa position avec un détecteur de résolution spatiale delta x. Cette longueur delta x correspond par exemple à la taille d'un pixel sur la caméra qui nous sert à enregistrer le résultat de la mesure de position. La loi de probabilité pour chaque particule est la même, donnée par module de Psi au carré. Nous savons donc que l'histogramme des résultats de mesure, une fois qu'il contiendra suffisamment de données reproduira les variations de module de Psi au carré. Il faut bien sur que la précision delta x du détecteur soit suffisamment bonne, en l'occurence cela signifie que la largeur des canaux de mon histogramme doit être petite devant la modulation que je veux mettre en évidence. Si cela est réalisé je reproduirai expérimentalement cette modulation dès que le nombre de particules dans chaque canal deviendra grand devant 1. Le module carré de Psi de x apparaît donc comme une loi statistique pour la distribution en position pour un grand nombre de particules partageant la même fonction d'onde. A cette loi statistique on peut appliquer les outils statistiques habituels, comme la moyenne ou l'écart type, par exemple. Je vous rappelle rapidement leurs définitions que nous serons amenés à utiliser fréquemment. Si on se donne une loi de probabilité module de psi de x au carré, à un instant t donné, comme celle tracée ici, la position moyenne sera simplement : valeur moyenne de x égale l'intégrale de x fois le module de Psi de x au carré, dx. On peut également s'intéresser à la largeur caractéristique de ces distributions. Cette largeur est caractérisée de manière précise par la variance delta x carré, définie comme la différence entre la moyenne du carré, toujours calculée avec la densité de probabilité module de Psi au carré et le carré de la valeur moyenne calculée ci-dessus. On peut montrer que la variance est toujours positive. La racine carrée de la variance, appelée écart type et notée delta x caractérise l'étalement de la distribution de probabilité. Un petit écart type correspond à une distribution très piquée autour de sa valeur moyenne, alors qu'un grand écart-type correspond à une distribution de probabilité très étalée. Maintenant que nous avons cette fonction d'onde et son interprétation probabiliste, je voudrais insister sur deux points clés qui sont contenus dans ce principe que nous venons d'énoncer. Le premier concerne l'adjectif complet que j'ai utilisé dans la phrase, la description complète de l'état d'une particule de masse m dans l'espace à l'instant t se fait au moyen d'une fonction d'onde. Ce que je veux dire par là c'est que la fonction d'onde contient toute l'information disponible. Il n'y a pas dans le formalisme quantique, d'autres éléments qui pourraient permettre de savoir, avant de faire la mesure, où la particule va être détectée. Dans l'expérience d'interférence d'électrons que nous avons vue à la leçon précédente toutes les particules étaient préparées dans le même état et pourtant certaines tapaient en haut à gauche de l'écran et d'autres en bas à droite. Rien dans le formalisme quantique ne permet de savoir à l'avance où le prochain électron tapera précisément, on connait simplement la probabilité qu'il tape en tel ou tel endroit. L'aléatoire est fondamental en physique quantique. Vous pourriez vous dire que cette introduction de l'aléatoire en physique n'est pas vraiment une nouveauté. Il y a également des élements aléatoires dans la théorie cinétique des gaz classiques développée par Maxwell et Boltzmann au XIXe siècle, mais ce n'est pas la même chose. Dans la théorie cinétique des gaz on sait qu'on pourrait en principe connaître la position et la vitesse de chaque particule et la suivre au cours du temps, mais on sait également que cet effort serait considérable et inutile. Une description statistique suffit pour caractériser le gaz et trouver sa température, sa pression, sa viscosité. En mécanique quantique, en revanche, il n'est pas question, même en principe, de surmonter ce caractère aléatoire. Vous pouvez bien sur chercher à construire une théorie qui n'aurait plus d'aléatoire et qui décrirait correctement les phénomènes physiques mais ce ne sera plus la mécanique quantique, ce sera une autre théorie. Et d'ailleurs dans cette recherche d'une autre théorie que la mécanique quantique, vous serez en bonne compagnie. Einstein qui a pourtant contribué à fonder la mécanique quantique s'opposait fortement à ce rôle central de l'aléatoire. Sa phrase: « Dieu ne joue pas aux dés » est restée célèbre et montrait bien qu'il ne voulait pas d'une théorie qui ne serait pas capable, même en principe, de prédire ce qui se passe dans une expérience. Le second point clé de notre principe est le fait que la densité de probabilité est donnée par le module carré de la fonction d'onde, et non pas par la fonction d'onde elle-même. La fonction d'onde est une fonction à valeur complexe que l'on appelle amplitude de probabilité. Le fait que la densité de probabilité soit donnée par le module carré de la fonction d'onde est à la base du phénomène d'interférences. Pour le montrer prenons deux fonctions d'onde possibles pour décrire l'état d'une particule, Psi1 et Psi2, correspondant aux lois de probabilités P1 égal module de Psi1 carré et P2 égal module de Psi2 carré. Comme l'équation d'évolution des fonctions d'onde, à savoir l'équation de Schrödinger que nous allons bientôt rencontrer est linéaire, la fonction d'onde Psi proportionnelle à Psi1 plus Psi2 est également une fonction d'onde possible pour la particule, c'est ce que l'on appelle le principe de superposition. Notez que je mets ici un coefficient proportionnel et non pas égal car il faut veiller à ce que Psi soit normé. La densité de probabilité associée à Psi n'est pas la somme des densités de probabilité associée à Psi1 et à Psi2. Les densités de probabilité associées à Psi1 et Psi2 sont P1 et P2, et la densité de probabilité associée à Psi contient un terme supplémentaire correspondant à l'interférence entre Psi1 et Psi2, à savoir Psi1 fois Psi2 étoile plus Psi1 étoile Psi2. C'est parce qu'on superpose des amplitudes de probabilité et non des probabilités que les interférences peuvent apparaître.